Le délégué général du SNTPCT, qui représente les techniciens et les ouvriers de la production cinéma, explique pourquoi il s'oppose au projet du médiateur visant à permettre la signature d'une nouvelle convention collective (lire Ecran Total n°849 et 851)
Ecran total : Dans la négociation sur une nouvelle convention collective des ouvriers et techniciens de la production cinéma, il semble que les syndicats de salariés ou de producteurs sont d'accord sur le mécanisme imaginé par le médiateur afin de permettre une moindre rémunération des salariés d'une quarantaine de films "fragiles", et que le SNTPCT est le seul s'y opposer.
Stéphane Pozderec : De quoi parle-t-on ? D'un certain nombre de films pour lesquels le producteur, sur la base de son projet, n'a pas été à même de réunir les moyens nécessaires à son financement, c'est-à-dire de convaincre d'autres investisseurs ou, en tout cas, suffisamment d'investisseurs ? S'il s'agit de cette question, nous considérons que ce n'est pas aux salariés de réduire leur salaire mais que c'est la vocation du CNC et du ministère de la Culture de mettre en place des mécanismes appropriés. En ce qui nous concerne nous proposons que soit instituée une ligne de crédit à taux zéro qui serait accordée par le CNC au producteur sur un compte bloqué, et dont l'objet serait de garantir le paiement des salaires et des charges sociales des salariés de l'équipe technique. Le crédit serait remboursé par le producteur au CNC dans le cadre d'une délégation de recettes au premier euro des recettes d'exploitation du film.
E. T. : Mais les syndicats de producteurs ne sont pas d'accord ...
S. P. : C'est le cas du SPI, de l'APC et aussi de l'UPF, ce qui, de leur part, nous étonne beaucoup. Quant au ministre de la Culture et au Président du CNC, ils n'ont même pas étudié le coût du dispositif que nous proposons, alors que ce coût serait modeste puisque, à la différence de l'avance sur recettes, le remboursement de cette avance aurait lieu sur les premières recettes du film. Autrement dit, il est clair que l'objectif de ces producteurs est de ne pas avoir à rembourser sur les recettes la part des salaires qui serait abandonnée par les salariés. Ils font preuve d'un tel manque de scrupules qu'ils proposent aux techniciens d'abandonner une partie de leur salaire en échange d'un partage de 10 % des recettes producteur alors qu'ils réservent aux producteurs 90 % de ces recettes. Or, il ne faut pas oublier que cette réduction de salaire entraine une réduction de la rémunération Assedic sur 243 jours. C'est donc l'existence sociale même du corps professionnel qui est menacée.
E. T. : Mais les salaires de l'actuelle convention collective sont très élevés par rapport à ceux de la plupart des secteurs autres que le cinéma.
S. P. : N'oubliez pas que c'est un métier d'intermittents. La Caisse des congés spectacles, chiffrant pour les techniciens le montant des indemnités annuelles moyennes de congés pour l'année de référence allant du le avril au 31 mars 2009, permet de déterminer le montant des salaires annuels moyens réels. Elle indique qu'il est de 28 360 € pour les techniciens cadres, 17 190 € pour les techniciens non cadres et 19 180 € pour les ouvriers. De plus, on peut constater que le montant de leur indemnité journalière moyenne, qui est de 233 € euros pour les techniciens cadres, de 152 € pour les techniciens non cadres, et de 163 € pour les ouvriers, correspond à une application des barèmes de salaires minima.
E. T. : Mais que pensez-vous des propositions du médiateur?
S. P. : Nous sommes choqués que le ministre de la Culture ait considéré utile de nommer un médiateur en pleine négociation entre organisations syndicales patronales et de salariés. Son projet revient enfin de compte à réduire considérablement les barèmes de salaires minima actuels.
E. T. : Pour seulement une quarantaine de films, et pas pour les plus bas salaires ...
S. P. : Il s'agit néanmoins d'une ingérence politique sans précédent dans des négociations entre partenaires sociaux. En outre il faut prendre en compte le fait que ce ne sont pas l'ensemble des organisations de producteurs qui demandent cette réduction des salaires pour des films dont le budget - 4 M€ .- n'est pas du tout négligeable. Et il convient de souligner que ces réductions ne concerneraient que les techniciens et ouvriers, non les comédiens ou le réalisateur. Alors que l'enjeu essentiel est de permettre aux films de disposer des moyens artistiques et techniques nécessaires pour rencontrer leur public. C'est l'objet même du cinéma.
Propos recueillis par Serge Siritzky
écran total n°853 du 25 MAI 2011